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    LES NÉRÉIDES

     

    Sur l'écume blanche qui frange

    Le manteau glauque de la mer

    Se groupent en bouquet étrange

    Trois nymphes, fleurs du gouffre amer.

     

    Comme des lis noyés, la houle

    Fait dans sa volute d'argent

    Danser leurs beaux corps qu'elle roule,

    Les élevant, les submergeant.

     

    Sur leurs têtes blondes, coiffées

    De pétoncles et de roseaux,

    Elles mêlent, coquettes fées,

    L'écrin et la flore des eaux.

     

    Vidant sa nacre, l'huître à perle

    Constelle de son blanc trésor

    Leur gorge, où le flot qui déferle

    Suspend d'autres perles encor.

     

    Et, jusqu'aux hanches soulevées

    Par le bras des Tritons nerveux,

    Elles luisent, d'azur lavées,

    Sous l'or vert de leurs longs cheveux.

     

    Plus bas, leur blancheur sous l'eau bleue

    Se glace, d'un visqueux frisson,

    Et le torse finit en queue,

    Moitié femme, moitié poisson.

     

    Mais qui regarde la nageoire

    Et les reins aux squameux replis,

    En voyant les bustes d'ivoire

    Par le baiser des mers polis ?

     

    A l'horizon, - piquant mélange

    De fable et de réalité,-

    Paraît un vaisseau qui dérange

    Le chœur marin épouvanté.

     

    Son pavillon est tricolore ;

    Son tuyau vomit la vapeur ;

    Ses aubes fouettent l'eau sonore,

    Et les nymphes plongent de peur.

     

    Sans crainte elles suivaient par troupes

    Les trirèmes de l'Archipel,

    Et les dauphins, arquant leurs croupes,

    D'Arion attendaient l'appel.

     

    Mais le steam-boat avec ses roues,

    Comme Vulcain battant Vénus,

    Souffletterait leurs belles joues

    Et meurtrirait leurs membres nus.

     

    Adieu, fraîche mythologie !

    Le paquebot passe et, de loin,

    Croit voir sur la vague élargie

    Une culbute de marsouin.

     

    Théophile Gautier

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    Diego_Velazquez_Sebastian-de-Morra.jpg

    Portrait de Sebastián de Morra Vers 1645-Musée du Prado, Madrid

    Ce portrait du nain de cour Don Sebastián de Morra a été peint par Velaquez dans l'année 1645. C'est une huile sur toile (106, 5 par 81,5 cm).

    Il y a chez l'artiste une volonté de magnifier ce nain dont la difformité physique en faisait un objet de curiosité dans les cours européennes d'alors. Le nain assis à même le sol, comme l'enfant dont il a la taille, regarde le spectateur d'un regard lourd de reproche ou de défi. Toi qui me regarde, seras-tu capable de voir en moi l'homme et non l'être difforme ? Telle semble être la question muette que nous pose encore Don Sebastián de Morra.

     

    Toi, à cheval !

    - Eh ! pourquoi pas ? j'ai si

    souvent galopé sur un lévrier

    du laird de Linlithgow !

    Ballade écossaise.

     

    LE NAIN

     

    J'avais capturé de mon séant, dans l'ombre de mes courtines, ce furtif papillon, éclos d'un rais de la lune ou d'une goutte de rosée.

    Phalène palpitante qui, pour dégager ses ailes captives entre mes doigts, me payait une rançon de parfums !

    Soudain la vagabonde bestiole s'envolait, abandonnant dans mon giron, - ô horreur ! - une larve monstrueuse et difforme à face humaine !

     « Où est ton âme ? que je chevauche ? - Mon âme, haquenée boiteuse des fatigues du jour, repose maintenant sur la litière dorée des songes.»

    Et elle s'échappait d'effroi, mon âme, à travers la livide toile d'araignée du crépuscule, par-dessus de noirs horizons dentelés de noirs clochers gothiques.

    Mais le nain, pendu à sa fuite hennissante, se roulait comme un fuseau dans les quenouillées de sa blanche crinière.

     

    Aloysius Bertrand 

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