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    Comptes de fées.

     

    C’est surtout le samedi que les parents de Valentine vont se promener dans la forêt. Et toujours, toujours, Valentine ne peut pas venir. Que font-il ? Chaque fois, il revienne avec quelque chose de délicieux. Un jour des cèpes de bordeaux magnifiques et brillants, un autre jour des mûres en quantité, des framboises, des fraises, même des petites parfois. Ou un lapin, une tortue, une volaille comme ces bonnes cailles que l’on plume dans la soirée pour les manger le lendemain. Des carottes encore toutes petites mais si fondantes dans la bouche, des cynorhodons, des alises.  Une fois même je me souviens qu’ils sont revenus avec un sanglier.

    La semaine dernière la promenade hebdomadaire n’avait pas donné grand-chose, une grosse boite verte avec écrit « pâté de printemps » sur l’étiquette. Ce n’est pas la première fois que les parents de Valentine rapportent ce pâté, et Valentine ne l’aime pas. On en a trop souvent, pour les fêtes surtout. Et on en garde en plus pour les anniversaires. C’est affreux. Le pire pour Valentine c’est que tout le monde aime ça. Personne ne veut de foi gras, de caviar ou de saumon tant que la boite n’est pas avalée par la poubelle. Et souvent ce sont les carottes qui pourrissent alors que la boite est fièrement montrée sur la poutre de la cheminée.

    Aujourd’hui c’est encore samedi. Valentine regarde par la fenêtre la voiture de ses parents prendre à droite à la sortie du parking. Dans une heure ils seront revenus et, comme la semaine dernière, ils vont trouver du pâté de printemps. La période des fêtes de fin d’années amène toujours deux fois son lot de boites vertes. Comme chaque année, il fallait donc profiter de la promenade pour aller trouver autre chose à manger. Valentine mis donc son manteau, son écharpe et ses gants. Dehors il ne faisait pas très froid sous les chauds rayons du soleil. Dans la maison, le chat Gaspard regarde par la fenêtre le vélo de Valentine prendre à droite à la sortie du parking en direction des Barres Chocolatées. Un distributeur est stationné près de l’école, à la lisière de la forêt.

    En passant devant un chemin à peine marqué, Valentine se demanda si ce n’était pas là le raccourci malin d’un chenapan de sa classe. Filant bon train sur son nouveau vélo, elle suit consciencieusement les traces pour ne pas se perdre. Dans un virage cependant c’est la catastrophe. Le pied s’accroche à une ronce et entraîne Valentine. Le vélo s’écrase dans les fourrés. Quelques gouttes de sangs colorent dans le soleil d’hiver une feuille jaunie par le temps. Un cri strident résonne dans le désert forestier. Un bruit sourd, un cliquetis, et plus rien.

    Valentine est là, le cul par terre. Une épine dans le doigt l’empêche de bouger. Aie. Ouille. Et voilà. Une perle de sang, un grognement, et plus rien. Valentine est stupéfaite. Levant les yeux, elle aperçoit l’enseigne GRIMM apposé sur un arbre gigantesque, et une série de portes d’où sortent quelques fées chargées des repas de fêtes, des grosses boites vertes. C’était l’occasion ou jamais. Valentine voulait absolument savoir de quoi était fait le pâté de printemps.

    Continuant le chemin, elle trouva le grillage abîmé et se glissa entre les mailles du filet. Elle fit bien attention de ne pas se faire voir et atteint rapidement une fenêtre entrouverte. A l’intérieur, une grande cuve brasse la mélasse. Des petites fées travaillent d’arrache pied à remplir les moules. Une énorme bouche avale tout ça à une température bien trop rouge pour aller voir ce qui se passe de près. Dans la salle de derrière, encore plus grande, des centaines de fées attendent, chantant en cœur des louanges au plaisir, au printemps. Puis une grue les balaye, le chant s’arrête et le broyeur broie le pâté. Il rempli la grande cuve qui brasse la mélasse. D’autres fées viennent. C’est assez. Valentine prend c’est jambe à son coup. Trop vite sûrement car elle s’est faite repérée. Elle court encore dans ses rêves, avant de se réveiller bien ficelée dans la salle de derrière.

    Presque sans bruit, les deux bras mécaniques s’étirent. La plaque métallique baille. Les vérins hydrauliques glissent. Le chant des fées est clair et pur, il résonne sur la froide plaque de fer jusqu’au contact fatal. Un cri puissant s’échappe du silence. Devant l’arbre, les parents de Valentine attendent patiemment au milieu des voisins. Et puis c’est enfin à leur tour. Une gentille fée, les yeux un peu trop jaune, tend devant elle trois grosses boites vertes de pâté de printemps.

     

    - « Bonjour Madame. Comment va Valentine aujourd’hui ?

    - Elle travaille ses devoirs.

    - Trente sous s’il vous plait. Vous avez de la chance d’avoir une petite fille si gentille.

    - Merci. A la semaine prochaine. Bonne fête et bonne année. »

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