• Angsalvor-Nils_Blommer_1850.jpg 
    Ängsälvor « elfes de la prairie », 1850, peinture de Nils Blommér.

    Les elfes

     

    Couronnés de thym et de marjolaine,

    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

     

    Du sentier des bois aux daims familier,

    Sur un noir cheval, sort un chevalier.

    Son éperon d'or brille en la nuit brune ;

    Et, quand il traverse un ravon de lune,

    On voit resplendir, d'un reflet changeant,

    Sur sa chevelure un casque d'argent.

     

    Couronnés de thym et de marjolaine,

    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

     

    Ils l'entourent tous d'un essaim léger

    Qui dans l'air muet semble voltiger.

    - Hardi chevalier, par la nuit sereine,

    Où vas-tu si tard ? dit la jeune Reine.

    De mauvais esprits hantent les forêts

    Viens danser plutôt sur les gazons frais.

     

    Couronnés de thym et de marjolaine,

    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

     

    - Non ! ma fiancée aux yeux clairs et doux

    M'attend, et demain nous serons époux.

    Laissez-moi passer, Elfes des prairies,

    Qui foulez en rond les mousses fleuries ;

    Ne m'attardez pas loin de mon amour,

    Car voici déjà les lueurs du jour.

     

    Couronnés de thym et de marjolaine,

    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

     

    - Reste, chevalier. Je te donnerai

    L'opale magique et l'anneau doré,

    Et, ce qui vaut mieux que gloire et fortune,

    Ma robe filée au clair de la lune.

    - Non ! dit-il. - Va donc ! - Et de son doigt blanc

    Elle touche au coeur le guerrier tremblant.

     

    Couronnés de thym et de marjolaine,

    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

     

    Et sous l'éperon le noir cheval part.

    Il court, il bondit et va sans retard ;

    Mais le chevalier frissonne et se penche ;

    Il voit sur la route une forme blanche

    Qui marche sans bruit et lui tend les bras :

    - Elfe, esprit, démon, ne m'arrête pas !

     

    Couronnés de thym et de marjolaine,

    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

     

    Ne m'arrête pas, fantôme odieux !

    Je vais épouser ma belle aux doux yeux.

    - Ô mon cher époux, la tombe éternelle

    Sera notre lit de noce, dit-elle.

    Je suis morte ! - Et lui, la voyant ainsi,

    D'angoisse et d'amour tombe mort aussi.

     

    Couronnés de thym et de marjolaine,

    Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.

     

    Charles-Marie LECONTE DE LISLE

    (1818-1894)

     

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  • 9.elfe

    Le Quinze Décembre

    Théophile Gautier

     

    Par l'ennui chassé de ma chambre,

    J'errais le long du boulevard :

    Il faisait un temps de décembre,

    Vend froid, fine pluie et brouillard;

     

    Et là je vis, spectacle étrange,

    Échappés du sombre séjour,

    Sous la bruine et dans la fange,

    Passer des spectres en plein jour.

     

    Pourtant c'est la nuit que les ombres,

    Par un clair de lune allemand,

    Dans les vieilles tours en décombres,

    Reviennent ordinairement;

     

    C'est la nuit que les elfes sortent

    Avec leur robe humide au bord,

    Et sous les nénuphars emportent

    Leur valseur de fatigue mort;

     

    C'est la nuit qu'a lieu la revue

    Dans la ballade de Sedlitz,

    Où l'Empereur, ombre entrevue,

    Compte les ombres d'Austerlitz.

     

    Mais des spectres près du Gymnase,

    A deux pas des Variétés,

    Sans brume ou linceul qui les gaze,

    Des spectres mouillés et crottés !

     

    Avec ses dents jaunes de tartre,

    Son crâne de mousse verdi,

    A Paris, boulevard Montmartre,

    Mob se montrant en plein midi!

     

    La chose vaut qu'on la regarde;

    Vrais fantômes de vieux grognards,

    En uniforme de l'ex-garde,

    Avec deux ombres de hussards!

     

    On eût dit la lithographie

    Où, dessinés par un rayon,

    Les morts que Raffet déifie

    Passent, criant : Napoléon !

     

    Ce n'étaient pas les morts qu'éveille

    Le son du nocturne tambour,

    Mais bien quelques vieux de la vieille

    Qui célébraient le grand retour.

     

    Depuis la suprême bataille,

    L'un a maigri, l'autre a grossi;

    L'habit jadis fait à leur taille

    Est trop grand ou trop rétréci.

     

    Nobles lambeaux, défroque épique,

    Saints haillons qu'étoile une croix,

    Dans leur ridicule héroïque,

    Plus beaux que des manteaux de rois !

     

    Un plumet énervé palpite

    Sur leur kolbach fauve et pelé;

    Près des trous de balle, la mite

    A rongé leur dolman criblé.

     

    Leur culotte de peau trop large

    Fait mille plis sur leur fémur;

    Leur sabre rouillé, lourde charge,

    Embarrasse leur pied peu sûr;

     

    Ou bien un embonpoint grotesque,

    Avec grand'peine boutonné,

    Fait un poussah dont on rit presque

    Du vieux héros tout chevronné.

     

    Ne les raillez pas, camarade;

    Saluez plutôt chapeau bas

    Ces Achilles d'une Iliade

    Qu'Homère n'inventerait pas.

     

    Respectez leur tête chenue!

    Sur leur front par vingt cieux bronzé,

    La cicatrice continue

    Le sillon que l'âge a creusé.

     

    Leur peau bizarrement noircie

    Dit l'Égypte aux soleils brûlants,

    Et les neiges de la Russie

    Poudrent encor leurs cheveux blancs.

     

    Si leurs mains tremblent, c'est sans doute

    Du froid de la Bérésina;

    Et s'ils boitent, c'est que la route

    Est longue du Caire à Wilna.

     

    S'ils sont perclus, c'est qu'à la guerre

    Les drapeaux étaient leurs seuls draps;

    Et si leur manche ne va guère,

    C'est qu'un boulet a pris leur bras.

     

    Ne nous moquons pas de ces hommes

    Qu'en riant le gamin poursuit;

    Ils furent le jour dont nous sommes

    Le soir et peut-être la nuit.

     

    Quand on oublie, ils se souviennent!

    Lancier rouge et grenadier bleu,

    Au pied de la colonne, ils viennent

    Comme à l'autel de leur seul dieu.

     

    Là, fiers de leur longue souffrance,

    Reconnaissants des maux subis,

    Ils sentent le cœur de la France

    Battre sous leurs pauvres habits.

     

    Aussi les pleurs trempent le rire

    En voyant ce saint carnaval,

    Cette mascarade d'empire

    Passer comme un matin de bal,

     

    Et l'aigle de la grande armée

    Dans le ciel qu'emplit son essor,

    Du fond d'une gloire enflammée,

    Étend sur eux ses ailes d'or!

     

    THEOPHILE GAUTIER.

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